Description 
Ce superbe ouvrage « Masken und Mythen » qui a pour thème les masques et les mythes à travers les structures sociales des Nyonyose et des Sikomse de Haute-Volta réuni 2 volumes sous emboitage pvc regroupant : – Un livre contenant le texte, agrémenté de nombreux croquis et suivi d’un hors texte de 170 photos de terrain en noir et blanc. & – Un portfolio de 136 croquis de masques.
Dédié au regretté Wilhelm Staude, cet ouvrage constitue une contribution exceptionnelle à la connaissance des populations du Mogho (pays Mossi, Haute-Volta) d’une part, à celle des masques africains d’autre part et dont le contenu traite successivement : les masques et leurs formes – la topographie du masque – les groupes de masques – l’analyse de la forme – les masques de famille – les tombes des Nyonyosi – les Nyonyosi et les Sikomse – le grade et fonction – le statut des femmes – les fêtes et les cérémonies – les danses et la musique – les autels et animaux sacrificiels – les masques des Sikomse – le masque dans le mythe – le masque dans la tradition orale – les Suku – le vocabulaire – le vocabulaire comparatif – les textes- les peintures du masque Nyonyosi – Les caractères de masque – les signes sur les différents masques – le « contenu » des signes – le caractère naturel : l’image de l’idée – les signes synonymes et homonymes – les combinaisons de signes – le lien avec les mythes – la comparaison avec les signes des Dogon et des Bambara – le style – les éléments de forme – les éléments structurels – les modifications formelles créatives – l’analyse de la forme : un moyen de trouver un plan structurel – l’analyse structurale des masques antilope – le modèle – le changement de style – la comparaison des masques et des vieilles sculptures de pierre.
===== COMPTE RENDU COMPLET PUBLIE PAR LA REVUE « PERSEE » =====
… /… Les problèmes relatifs à la formation et à l’équilibre ethnique des royaumes Mossi ne sont pas encore élucidés. Il semble qu’il faille réserver le terme de Mossi (Mose) pour désigner une couche conquérante qui s’est installée progressivement dans cette aire à partir de la fin du XVème siècle ; elle comprend une aristocratie hiérarchisée, les Nakomse, et le peuple commun, les Taise. Les Nakomse détiennent l’autorité politique dans les royaumes Mossi (Ouagadougou au Centre, le Yatenga au Nord et Ten Kodogo au Sud) ; ce sont eux surtout qu’a connus l’administration européenne, l’image courante qui est donnée du pays est encore largement tributaire des informations, nécessairement subjectives, qu’ils ont fournies. Les Mossi proprement dits désignent par le terme d’« enfants de la terre » (Tengbisi) les descendants des populations qu’ils ont soumises, premières occupantes. Le terme Nyonyose (singulier : Nyonyoga) est employé par Mme Schweeger-Hefel, comme équivalent de Tengbisi, ce qui correspond à quelques nuances près à l’usage des Mossi eux-mêmes. Certains de ces Tengbisi, que l’on caractérise plus loin, sont désignés par le terme Sikomse (singulier : Sikoaga) ; leur terre d’élection se situe à l’Ouest d’une ligne Ouagadougou-Gourcy, mais on en rencontre ailleurs. Deux autres notions ethniques viennent compliquer ce tableau. Dans certaines régions, il semble que des Ninisi (singulier : Niniga),qui représenteraient les vestiges d’un vieux fond de population Mandingue faisant le pont entre les Samo au Nord et les Bisa au Sud, soient présents et jouent un rôle dans les relations entre les Nyonyose et les Mossi proprement dits. Enfin, des traces d’une ancienne occupation par les Dogon (dénommés ici kibisi) sont signalées sur une bonne partie du Mogho. Malgré l’emploi aujourd’hui général du Moré, qui serait la langue des maîtres politiques, le problème des contacts et des survivances linguistiques restent à revoir depuis le pays Dagomba (Nord Ghana) jusqu’au Lurum (Mengao, au Nord du pays Mossi) et au pays Dogon. L’enquête de Mme Schweeger-Hefel a été limitée à la vieille couche (« Altschicht ») désignée sous le nom de Nyonyose et à la fraction désignée sous le nom de Sikomse. Commencée sur le terrain en 1965 et se poursuivant encore, cette recherche apporte de nombreuses et nouvelles données sur les deux catégories de population dont il s’agit. L’enquête sur les Nyonyose est très riche en ce qui concerne le Lurum, le Yatenga et la région limitrophe située au Sud du Yatenga. La moitié du livre (six chapitres sur douze) est consacrée à l’étude des masques, qui sont l’apanage de certaines familles Nyonyose. Le chapitre V apporte en outre de nombreux renseignements sur l’origine des Nyonyose, la hiérarchie de leurs dignitaires, leur langue « secrète » (plutôt symbolique, mis à part l’emploi du Kurumfé, langue parlée au Lurum, dans certains cas), la situation de la femme dans cette société (situation importante et respectée mais existe le problème des « mangeuses d’âmes »), les fêtes, les rites et les tombes. L’enquête révèle que les Nyonyose du Nord ont pour chef suprême le Sad-Naba de Giou, village situé au Sud de Béma. Dominique Zahan avait déjà fait connaître ce fait qui est ici explicité. Le Giou Sad-Naba est un Sawadugu, descendant des fondateurs du premier royaume de Lurum. On compte 21 générations entre l’arrivée du Sad-Naba à Giou et notre époque. L’enquêtrice précise que cette indication correspond à celles qui ont été recueillies sur l’installation du premier A-Yo (Konfé) et du premier Tengasoba à Lurum. La conclusion de la paix entre les Konfé et les Nyonyose, source de l’équilibre social du Lurum II, se situerait en conséquence aux alentours de 1530-1540. Le Sad-Naba aurait perdu son autorité politique mais intégralement conservé son autorité religieuse. Il est en particulier le gardien et le servant des âmes des plantes. Le calendrier et les choix agricoles sont sous la dépendance de ses autels. Le Sad-Naba aurait en outre le rôle d’une sorte de tribunal inter-fonctionnel pour le Yatenga. Mme Schweeger-Hefel écrit : « Le Sad-Naba constitue aussi l’instance suprême juridique lors d’une dispute entre un Tengsoba et un chef ». Le maître de la terre (Tengasoba), qui est en même temps le servant de la terre, occupe partout une position éminente. Son pouvoir s’étend dans certains cas sur une vaste région. Tous les Tengasoba ne disposent pas d’une force spirituelle égale. Cette force se manifeste en particulier par le contrôle des phénomènes atmosphériques. L’action protectrice des Nyonyose et de leur chef, le Tengasoba, s’exerce au profit de toutes les communautés installées sur leur sol. Les instruments-autels clés sont la hache pour la fertilité (terre, pluie, fécondité humaine) et le masque sacré — le Karenga — pour la conservation de la vie, encore que les deux fonctions et les deux objets soient intimement liés. Le Karenga ne doit pas être confondu avec le Wango, masque purement animalier le plus souvent, qui n’a pas la même importance religieuse. Seules possèdent le Wango les familles qui ont aussi le Karenga, ce dernier étant réservé aux usages les plus élevés qui sont aussi les plus rares. Les familles habilitées par la tradition à garder et servir les masques détiennent un grand pouvoir : elles bénéficiaient d’une protection spéciale de la part du Yatenga-Naba (chef suprême des Nakomse du Yatenga). Les formes et les signes des masques se retrouvent à l’examen des stèles posées sur les tombes des Tengasoba. Un cimetière comme celui de Gambo garde 52 de ces stèles, ce qui révèle une ancienneté de l’ordre de 500 ans (la durée de fonction d’un Tengasoba étant courte car il s’agit d’un vieillard), d’autres cimetières ont un moins grand nombre de stèles (âge : 250-300 ans). Mme Schweeger-Hefel a découvert dans le Lurum des polissoirs ou petites meules manuelles, enterrées, pense-t-elle, à l’époque de la fuite de certains Nyonyose du Lurum I vers le Sud, c’est-à-dire dans la première moitié du XVIème siècle ; ces objets sont également dans le style des masques les plus significatifs.
L’étude des Nyonyose conduit inéluctablement à celle des Sikomse comme nous avions pu le constater dans nos propres recherches (« Recherches sur les Nioniossé », /Les Voltaïques, nouvelle série, mémoire n° 4, Centre IFAN-ORSTOM, Ouagadougou, 1963). Nous avions, pour la présentation, divisé les Nyonyose en deux groupes : les Tengsobadamba et leurs parents d’une part, les Sikomse d’autre part. Cette distinction était trop peu nuancée puisque les Sikomse ont un Tengsoba quand ils vivent dans un village d’où les Nyonyose sont absents ; il se trouve simplement, comme le montre l’enquête de Mme Schweeger-Hefel, que le Tengsoba des Sikomse ne porte pas la hache, attribut essentiel de son homologue chez les Nyonyose. Bien que les Nyonyose et les Sikomse aient, d’après divers récits mythiques, une commune origine ancestrale, il paraît dont légitime de les distinguer. Mme Schweeger-Hefel s’est heurtée au secret dont s’entourent les Sikomse. Elle apporte néanmoins de nombreux renseignements sur la hiérarchie, les fonctions, la situation de la femme (aussi élevée, sinon plus, que chez les Nyonyose), les fêtes et cérémonies, les rites d’inhumation et de funérailles, les danses et la musique, les autels et les sacrifices (chapitre VII), sur les masques (chapitre VIII) et sur le Suku, langue secrète (chapitre IX) qui comprend notamment du Kurumfé (environ 16 %) et du Moré artificiellement déformé (environ 25 %). Avec les Sikomse, nous côtoyons un peu le roman d’angoisse et cette « Afrique mystérieuse » chère à la littérature coloniale d’avant 1935, qu’il n’est pas si aisé de rencontrer et d’observer. Les Sikomse sont surtout nombreux dans le Sud-Ouest du Mogho. Installés dans des enclos dispersés, d’aspect écrasé, aux murs bas, ressemblant un peu à des forteresses, ils vivent volontiers dans des zones peu fertiles et peu accessibles. Ils sont souvent de petite taille. Les habitations ont de petites ouvertures. Leur vie marginale par rapport à la société du Mogho est en harmonie avec leur isolement géographique. La pauvreté du sol et la médiocrité des ressources sont confirmées par l’étude des migrations actuelles : prés d’un tiers des emigrants de l’Ouest sont des Sikomse (Kohler). L’entrée du séjour des morts pour le Mogho, les cavernes de Pilimpiku, se trouve dans cette région. Il y aurait au moins deux cavernes, l’une étant aux soins des Nyonyose, l’autre à ceux des Sikomse, chaque catégorie pratiquant un culte distinct. La mort en pays Mossi est ainsi régentée par ces deux groupes. Les masques des Sikomse sont nombreux mais peu d’exemplaires peuvent en être examinés. On sait peu de chose sur le masque sacré (ce serait le masque dit « jeune fille » dans certains cas). Les masques courants sont des casques animaliers ; le porteur est entièrement caché et danse aveuglément. Il s’agit de danses de possession. Le masque est ici fait pour la danse. Enquêtant au village de Pela, Mme Schweeger-Hefel n’a pas eu accès aux masques ; elle reproduit néanmoins les intéressants dessins faits sur un cahier par un jeune homme mandaté à cet effet par le chef. Les autels sont, bien entendu, plus secrets encore. Comparant les Nyonyose et les Sikomse, Mme Schweeger-Hefel conclut avec circonspection à deux structures fondamentales semblables mais à deux missions distinctes. Les chefs de terre des Nyonyose sont au service du bien public auquel contribuent le culte de la terre et des éléments atmosphériques d’une part, celui des ancêtres sanctifiés d’autre part. Les Nyonyose occupent un rang supérieur à celui des Sikomse. Ceux-ci sont chargés de détourner, voire d’assumer, les forces mauvaises des esprits des morts errant sur terre et de s’assimiler aussi à ces innombrables génies de la nature (des eaux, des monts, des roches et surtout des arbres) que sont les Kinkilika ou Kinkirga. Les Sikomse sont en contact avec le dangereux monde du mouvement, du désordre, de la sauvagerie — du monde panique en somme, interprèterons-nous. On peut constater que, dans la société traditionnelle, les pouvoirs de ces premiers occupants que sont les Nyonyose et les Sikomse sont des éléments d’équilibre face au pouvoir temporel légitime (le Nam) que détiennent les Nakomse. L’emploi de la force (Panga) est autant que possible évité de part et d’autre.
Les masques Nyonyose étudiés proviennent pour la plupart du Lurum ou du Yatenga ou s’y trouvent encore. Ils se divisent en huit groupes : 1 — Masques à forme humaine abstraite (famille Oueremi, Tomi, Salé, 17 pièces) ; 2 — Masques abstraits avec une partie visage non unitaire (masques simples au symbolisme riche – famille Salé de Hité, Sawadugu ou Tao de Aribinda et Belehede, Samporé de Burgha, Gamsoré de Sala – 8 pièces) ; 3 — Masques à stèle courte, non démembrée, à la manière d’une planche (masques de certains Tengasoba sur un espace très restreint — 6 pièces) ; 4 — Longs masques-stèles (masques des Tengasoba Sawadugu sur un vaste espace entre Ouahigouya, Gourcy, Rambo et Loga — 34 pièces) ; 5 — Masques à représentation humaine réaliste, avec ou sans stèle (leur présence est certaine dans le Nord, probable ailleurs — 21 pièces) ; 6 — Masques à ailes (le motif central va de la représentation réaliste de l’humain à l’abstraction totale — on les trouve surtout au Sud-Est entre Kaya et Boulsa — 13 pièces) ; 7 — Masques-épées (6 pièces dont deux de la famille Tao de Yoro — cela va du masque- espadon au masques-battoir — ces masques sont liés à la notion de tissage) ; 8 — Masques-coiffes à tête d’antilope (au cœur du Yatenga sur une vaste superficie entre Ronga et Tambonga — 26 pièces). Les masques karenga se trouvent principalement dans les cinq première catégories. Les masques Wango sont surtout ceux de la huitième catégorie. Mme Schweeger-Hefel relate de nombreux « mythes de masque ». Elle montre comment par sa structure, par les signes qu’il porte, par sa fonction d’autel (s’agissant d’un Karenga), le masque est inséparable du récit mythique, de la danse et du chant. Le masque présente en particulier un rythme formel, une succession de séquences longues et de séquences courtes, qui est à rapprocher du rythme de la danse qui lui est réservée. Le chapitre XII est consacré à l’analyse du style des masques. L’élément fondamental réside dans une proportion bien précise du corps humain qui se rapproche grandement des mesures naturelles, avec une progression en ce sens quand on remonte vers l’époque actuelle. La présence des deux sexes est fréquente et ancienne dans les représentations, souvent abstraites (nous songeons personnellement au couple Guisga-Pandé que nous avons plusieurs fois rencontré dans nos recherches). Il existe une corrélation entre l’abstraction (ou au contraire l’individualisation) du récit mythique et celle du masque. L’image originaire (Urbild) du masque est la plus abstraite : elle correspond au mythe d’origine (Urmythe) , au lieu où il est relaté. Grâce en particulier aux travaux de Michel Izard, de Wilhelm Staude et de Annemarie Schweeger-Hefel, nous approchons d’une exacte connaissance de la culture des populations du Nord-Mossi et du Lurum. L’enquête de Mme Schweeger-Hefel apporte aussi de précieux renseignements sur le Sud-Ouest mais il est évident que l’état des informations sur les Sikomse et les » hommes de l’arc » (les Tieparse) est encore fragmentaire. Un travail comparable à celui qu’a réalisé Mme Schweeger-Hefel serait du plus haut intérêt pour le Sud, depuis Kaya jusqu’aux frontières ghanéenne, béninoise et togolaise. Les Nyonyose paraissent y former des sortes de fédérations hiérarchisées qui ont des relations d’alliance avec les hiérarchies familiales des Nakomse. L’institution du Wemba, intercesseur auprès des chefs, ne leur est peut-être pas étrangère. Mme Schweeger-Hefel ne semble pas avoir rencontré au cours de ses investigations la couche, également ancienne, des Ninisi. Le fait est curieux pour l’Ouest. Le phénomène Niniga mériterait une enquête sérieuse auprès du Ouagadougou Naba, du Souma Naba (région de Yako), dans les familles Llboudo et dans de nombreux villages (Recherches précitées, p. 4243). Les chefs de guerre du Sud (les Tansoba) devraient retenir l’attention à ce point de vue. On retrouverait sans doute, à la faveur d’une telle investigation, les forgerons dont Mme Schweeger-Hefel a commencé l’étude (« Masques et forgerons », p. 176). La chasse et les chasseurs sont présents dans les récits d’origine ; leur étude, qui conduirait à celle de l’autel Sing apparaît être le complément nécessaire de celle des Tengbisi. Si on retient le schéma historico-social fourni par la tradition orale qui fait des Mossi proprement dit (Nakomsc et Taise) un peuple mobile de cavaliers guerriers fixé auprès de populations autochtones, peut-on admettre que ce peuple n’aurait pas eu de masques ? Nous en doutons. Le problème des Mo-Wamdo (Masques des Mose) est à examiner sérieusement dans le royaume de Ouagadougou. Il devrait être indicatif de la valeur du schéma traditionnel. La complexité de l’ensemble « Mossi » est-elle un cas isolé dans cette région d’Afrique ? Il ne le semble pas (exemple : le pays Mawri au Niger), encore qu’elle soit ici extrême.
Robert PAGEARD.